Nicolas Philibert interviewé par Daphnée, Cinéphoto et le public du Métropole (Lille juin 2002)

Qu'est-ce qui vous a donné envie de filmer cet endroit, cette classe là?
Nicolas Philibert
: Il y a mille manières, chez moi c'est souvent un peu hasardeux. Ce film est né d'une envie de faire un film sur la vie à la campagne, sur les apprentissages dans une classe unique et non pas sur une classe unique. Là, ce serait plutôt avec, peut-être. J'aime bien quand le film dépasse le stade unique de son sujet. Cette classe, ce n'est pas un modèle.

On se demande si vous connaissiez l'instituteur…
N.P.
Le choix du film ne vient pas de la connaissance d'une classe. J'avais envie de camper le film dans une école comme celle-là, isolée, à l'écart. J'avais envie de situer le film dans une région de montagnes agricoles.

Quels ont été vos critères de sélection alors?
N.P.
J'ai visité beaucoup d'écoles et puis j'ai fait ce choix pour des raisons liées à un projet de film, pour la manière de ce maître de tenir son rôle. J'ai hésité, mais après, c'est des critères très subjectifs comme le fait qu'il y avait très peu d'enfants et si possible un qui apprend à lire. J'ai éliminé beaucoup d'écoles pour des raisons subjectives. Quand il y avait une aide maternelle par exemple. Si vous avez deux adultes qui parlent en même temps c'est assez difficile sur une bande son.

Quelle ont été les réactions des enfants par rapport à la caméra?
N.P.
Une bonne partie des choses sont gagnées si on explique avant ce qu'on va faire dans la clarté. Les enfants étaient très attirés par la perche plus que par la caméra. Nous avons passé deux heures à expliquer comment on fait un film de 10 semaines de tournage sur sept mois.
Les enfants devenaient intéressés pour jouer avec nous à la récré. La question est celle de la distance de l'instit et du cinéaste par rapport aux gens filmés. C'est une distance éthique. Ce rôle est fragilisé quand il y en a un qui vient avec son cahier pour un coup de main. Nous ne sommes pas là pour devenir maîtres auxiliaires. Nous avons essayé d'inscrire cette différence entre un moment de travail et un moment où on est copain.

Quelle est la place de la caméra pour ce genre de film?
N.P.
Je pense que ce serait mentir que de dire que la caméra se fait oublier, on est présent, parfois très proche. Il y a toujours une part de jeu: Jojo arrivait tous les matins en disant :"c'est aujourd'hui qu'on fait le film?"

Quelle est la part de mise en scène alors?
N.P.
Il y a des séquences filmées sur le vif mais quand un enfant travail avec le maître… La séquence de la multiplication est une auto mise en scène. J'ai donné une multiplication assez coriace à Julien, sa mère est arrivée, puis l'oncle et le père se sont mis dans le cadre comme happés.
J'ai vu et revu les parents après l'école.

Les enfants et l'instituteur ont-ils vu le film?
N.P.
Oui, la première a été pour les parents, les enfants et le village. Mais quand on se voit, on a une vision très particulière surtout quand on se voit pour la première fois à l'écran. On vérifie qu'on passe bien à l'image. Les enfants n'ont pas beaucoup parlé, ça a réveillé les souvenirs du tournage et ne m'ont pas fait de grand discours.

Avez-vous été soucieux des réactions à venir?
N.P.
J'étais un peu soucieux de la réaction de certains face à ce film où on s'empare un peu de la vie de quelqu'un. C'est eux qu'on va promener dans les salles, et c'est une responsabilité, un soucis. Il faut être attentif aux dégâts que ça pourrait faire lors du montage. Donc j'ai quelques fois réfléchi, hésité et parlé avec le maître. Mais c'est mon film, c'est assumé, c'est mon regard mais j'ai considéré que l'instituteur pouvait donner son point de vue.
J'ai dit aux enfants que je les ai filmé dans des situations parfois difficiles. Mais ça fait un an maintenant et ça a été bien vécu.

Dans le cas contraire, auriez-vous supprimé les séquences litigieuses?
N.P.
S'il y a un désastre, que faire? Il faut être pragmatique, c'est un travail autour. Quelques fois, on peut être amené à enlever une scène qui fait mal mais j'étais assez confiant. J'ai 58h30 qui sont restées dans les boîtes. Ça répond à une logique de construction: il faut rester dans le ton, qu'il y ait une forme de cohérence narrative.

C'est aussi un regard sur un certain type d'école, sur un univers assez clos. Était-ce indifférent, ou y a-t-il eu un choix?
N.P.
Je n'ai pas fait ça au hasard. Disons qu'à partir du moment où vous choisissez une classe, pour le spectateur elle est mise en avant. Ce qui m'intéresse c'est l'humain et il y a des moments forcément émouvants. On montre souvent au cinéma les écoles conflictuelles, ça fait spectacle. On ne montre la banlieue au journal télévisé que quand il y a des bagnoles qui crament. J'aime bien montrer le beau côté de certaines choses. Dans le film, il y a des moments de violence contenue, des difficultés mais cette dimension est très présente. Si on en montre pas les difficultés, il n'y a pas de film.

En même temps, on se dit que si l'instituteur était un sale type, bonjour pour les enfants! Il est érigé en modèle ici.
N.P.
Je ne suis pas tout à fait d'accord. Ce n'est pas un modèle pour moi. J'ai choisi quelqu'un vers qui il y a une certaine empathie. En Iran, les instituteurs sont très très durs mais ceux sont des personnages justes. Georges Lopez est quelqu'un que je trouve touchant, c'est pour ça que je l'ai choisi.

Pourquoi a-t-il accepté?
N.P.
À un an de la retraite, il a eu envie d'accepter le regard de quatre adultes, d'avoir un miroir après des années de solitude. On peut trouver dans de le film de la nostalgie. Je ne crois pas pour autant que ce soit passéiste. Je pense qu'il y a des choses d'aujourd'hui et ça rejoint les questions d'aujourd'hui. Ce n'est pas un film catalogue pour les enseignants. J'ai choisi une école banale avec un maître qui a une trajectoire.

Vous faites une parenthèse dans le film quand vous interviewez le maître…
N.P.
Je voulais qu'on sache sa trajectoire, ce qui l'a amené là. J'aime bien dans ce monde de vitesse, m'arrêter et poser mon regard. En même temps, une multiplication peut devenir une épopée.

Vous l'aviez écrit comment ce film?
N.P.
J'ai commencé mes repérages en mai juin 2000. J'ai visité une vingtaine de classes et j'ai retenu assez d'images mentales pour écrire un projet qui décrit une école, mélange de plusieurs écoles que j'avais vues en vrai. J'étais à l'affût de situations comme l'épopée de la multiplication. En même temps il y a des choses qui s'inventent au jour le jour et c'est pour ça que je ne fais pas des films de fiction. J'aime bien ce type d'aventures où les choses ont un lien avec ce qu'on filme.

Pourquoi ce titre?
N.P.
Pourquoi pas? (rire) Parce que c'est métaphorique et que ce sont les deux auxiliaires pour apprendre le français.
Pourquoi les tortues au début?
N.P.
un film ça tâtonne, ça cherche son chemin en route et le chemin se fait en marchant. L'idée était de montrer le froid dehors, le chaud dedans. Ces tortues sont la métaphores de l'apprentissage.

Les personnages sont très attachants, comment faites-vous pour vous en défaire après?
N.P.
Je ne peux pas m'en défaire. J'ai fait, il y a dix ans Le pays des sourds, et, avant-hier, la maman d'un de ces sourds profonds m'a téléphoné et m'a dit que son fils faisait du théâtre et voudrait m'inviter.

Qu'est-ce qui vous pousse à faire des films documentaires?
N.P.
Il y a quelque chose dans l'aventure qui dépasse le cinéma et c'est à la fois un film et une aventure avec des échanges humains forts et je n'ai pas d'imagination pour inventer une histoire. Mon imagination galope mais pas dans ma tour d'ivoire. Ne pas savoir ce qui va suivre me met dans une situation de fragilité que j'aime bien. En tout cas c'est le regard que je porte et il est fait d'une infinité de choix du début à la fin. L'objectivité du regard n'existe pas. Un film c'est une relecture d'un événement qui est proposée.

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